La boîte aux lettres qui parlait trop

Oui donc, je disais, c’était le 21 novembre, vers 18h30, il faisait froid et je soufflais sur un mec, planté devant moi, parce que j’aime pas trop ça et surtout à cette heure-ci. Et là il s’en va, puis une minute après il revient et là, paf, il me prend en photo avec son téléphone !
Ha ben c’était jamais arrivé.
Enfin j’veux dire, si, c’est déjà arrivé, qu’on prenne des photos, et que je sois dessus, genre un cliché de la Maison de Quartier ou la voiture de google maps, mais enfin là c’était autre chose, y’aura que moi sur la photo.
C’est pas souvent qu’on fait attention à moi : déjà, je suis à l’entrée secondaire, et en plus je suis blanche encastrée dans un mur blanc aussi ! Ha ben les gens parfois ils tournent avant de trouver où le mettre, leur courrier. C’est pas évident parce que les boîtes aux lettres, d’habitude, elles sont tournées vers l’extérieur mais moi, je suis tournée vers un autre mur, de l’autre côté de l’entrée.
Bah je sais pas pour quoi c’était, mais j’étais pas rassurée au début, à part le facteur et Véronique, la directrice, y’a pas grand-monde qui s’arrête comme ça devant moi. Et encore, Véro elle fait même plus gaffe maintenant, je fais partie du décor. C’est qu’avec les autres gens ça se passe pas toujours bien, j’ai pris des coups parfois et y’a même un type qu’a essayé de m’ouvrir en force l’autre jour. Puis aussi un autre, un peu gentillet, il m’a carrément écrit dessus celui-là. Chesnais Maison de Quartier, qu’il a écrit, alors j’imagine que ça partait d’un bon sentiment, mais enfin bon quand même !
Bref j’aime pas trop ça, quand les gens s’arrêtent ici.
Après ça défile pas tellement non plus hein, et c’est surtout des jeunes. Ils préfèrent entrer par là, c’est plus discret que l’entrée principale. Sinon y’a quelques bénévoles qui habitent du quartier, et puis y’a les pauses clopes, qui viennent ici quand y’a trop de vent. La pauvre poubelle du mur d’en face, elle aime pas les mégots, et c’est quand même dommage parce qu’elles fument toutes, là-dedans, du coup quand ça vente…
Enfin c’est de sa faute aussi, ‘faut se renseigner avant d’accepter un boulot ! Du coup elle est là, elle râle et elle pleure… si elle pouvait c’est sûr qu’elle irait ailleurs, ha, ça, oui ! Et puis, elle est pas très utile, il faut dire. Pas autant qu’une boîte aux lettres, en tout cas.
Ha non mais le prenez pas mal, madame, c’est très bien d’être une poubelle mais bon, ça manque un peu de finalité, quoi.
Comment ?
Ferme ton clapet ?
C’est ça, oui, restons-en là, ce s’ra mieux pour tout le monde.
Et bonne nuit, Madame.